LaVoixLactee-Bandeau-1000x600px

Christian Engel

vendredi 5 septembre 2025

La Voix Lactée #10 : réussir la transition alimentaire avec un nouvel ensilage de maïs

Temps de lecture : ~ 4 minutes

Réussir la transition alimentaire avec un nouvel ensilage de maïs

L’ensilage de maïs est la pierre angulaire de l’alimentation de la grande majorité des troupeaux laitiers. Riche en énergie, relativement stable dans sa composition et généralement appétent, il constitue une ressource fourragère essentielle pour soutenir la production laitière et la santé des animaux. Pourtant, chaque nouvel ensilage – qu’il provienne d’une nouvelle récolte, d’une nouvelle parcelle ou d’une variété différente – apporte son lot de changements dans l’équilibre nutritionnel de la ration.

image 1_ensillage
Pourquoi réaliser une transition ?

La transition alimentaire désigne la période d’adaptation nécessaire lors d’un changement significatif de la ration des vaches laitières. Elle s’applique particulièrement lorsque l’on introduit un nouvel aliment riche en énergie, comme l’ensilage de maïs, ou lorsque l’on modifie fortement la structure de la ration (rapport fourrage/concentré, type de fibres, digestibilité de l’amidon).

Cette transition a pour but :

  • De permettre à la flore ruminale de s’adapter progressivement,
  • D’éviter les désordres digestifs (acidoses, diarrhées, baisse de rumination),
  • De maintenir un niveau de production stable,
  • De préserver l’état corporel et la santé métabolique des animaux.

Le rumen est un écosystème complexe hébergeant plusieurs milliards de micro-organismes (bactéries, protozoaires, champignons). Ceux-ci dégradent les glucides structuraux (cellulose, hémicellulose) et non structuraux (amidon, sucres), produisant des acides gras volatils (AGV) qui constituent la principale source d’énergie pour la vache.

L’introduction d’un nouvel ensilage de maïs modifie l’équilibre de cet écosystème. Selon la teneur en amidon, la vitesse de dégradation et la proportion de fibres, la flore microbienne peut être déséquilibrée. Si l’acidité du rumen chute brutalement (pH < 5,8), les bactéries cellulolytiques (qui digèrent la fibre) sont inhibées, tandis que les bactéries amylolytiques prolifèrent, augmentant encore la production d’acides. C’est le cercle vicieux de l’acidose ruminale.

Une transition bien conduite doit donc viser à préserver cet équilibre fragile, en laissant le temps nécessaire aux micro-organismes de s’adapter à la nouvelle composition du bol alimentaire.

Introduire trop rapidement un nouvel ensilage de maïs peut avoir plusieurs effets délétères :

  • Baisse d’ingestion : les vaches, perturbées par le changement de goût ou de texture, réduisent spontanément leur consommation.
  • Chute de production laitière : l’énergie disponible n’est plus correctement valorisée.
  • Altération de la reproduction : un déficit énergétique et un état métabolique instable perturbent les cycles.
  • Augmentation des troubles de santé : acidose aigue ou subaigue et maladies opportunistes.

La progressivité de l’introduction d’un nouvel ensilage permet alors :

  • Aux bactéries ruminales de modifier leur population et leurs enzymes pour mieux digérer le nouvel amidon et les nouvelles fibres.
  • Aux vaches d’apprendre à reconnaître et accepter le nouveau fourrage (odeur, texture et acidité).
  • À l’éleveur de surveiller l’évolution des performances et d’ajuster la ration.

L’un des points les plus critiques dans la transition alimentaire est l’écart de composition entre l’ancien et le nouvel ensilage. Un simple changement de 2–3 points de MS ou de 4–5 % d’amidon peut modifier la ration de manière significative. D’où l’importance de travailler avec des données chiffrées et non sur de simples impressions visuelles.

image 2_ensillage
Comment procéder ?
  • L’idéal est d’attendre au minimum 6–8 semaines après l’ensilage avant d’ouvrir, afin que la fermentation soit stabilisée et la digestibilité de l’amidon optimisée. D’où l’importance de pouvoir constituer un stock de report suffisant.
  • Mélanger progressivement, par paliers, l’ancien et le nouvel ensilage dans la ration.
    • Jours 1–3 : incorporer 20–25 % du nouvel ensilage dans la ration totale.
    • Jours 4–7 : passer à 40–50 %.
    • Jours 8–12 : monter à 70–80 %.
    • Jours 13–21 : atteindre 100 % du nouvel ensilage.

Cette progression peut être accélérée (10 jours) si le nouvel ensilage est très proche de l’ancien en termes de MS et d’amidon, ou au contraire allongée (3 semaines) si les écarts sont importants.

  • Prendre le maïs en face plane et régulière pour éviter l’échauffement.
  • Viser une vitesse d’avancement de 1,5–2 m par semaine en hiver, 2,5–3 m en été.
  • Limiter les échauffements en utilisant des inoculants à la mise en silo et, si besoin, des conservateurs au front d’attaque.
  • Retirer les parties altérées ou moisies avant distribution.

Lors d’un changement d’ensilage, les micro-organismes du rumen doivent adapter leur métabolisme. Les bactéries cellulolytiques (digestion de la fibre) nécessitent du temps pour s’ajuster si la proportion de NDF change, et les bactéries amylolytiques (digestion de l’amidon) prolifèrent rapidement mais peuvent déstabiliser le pH.

Pour soutenir cet équilibre, on peut utiliser des additifs spécifiques :

  • Levures vivantes (Saccharomyces cerevisiae) : stabilisent le pH ruminal, stimulent la flore cellulolytique pour une meilleure digestion des fibres.
  • Tampons (bicarbonate de sodium, oxyde de magnésium) : limitent les chutes de pH lors de rations riches en amidon.
  • Inoculants à l’ensilage (Lactobacillus buchneri) : améliorent la stabilité aérobie, réduisent l’échauffement au front d’attaque.
  • Enzymes exogènes (cellulases, amylases) : augmentent la dégradabilité de la ration.
  • Liants à mycotoxines : à utiliser si le maïs présente des contaminations détectées (zéaralénone, DON).

Ces solutions ne remplacent pas une ration équilibrée, mais elles en optimisent l’efficacité, surtout dans des situations à risque.

Une transition réussie passe par :

  • De l’anticipation : prévoir assez de stock pour éviter les transitions forcées et analyser l’ensilage avant ouverture.
  • De la progressivité : introduire par paliers, surveiller les vaches et ajuster la ration en fonction de leurs réactions.
  • Un suivi collectif : nutritionniste, vétérinaire et éleveur doivent travailler ensemble pour sécuriser la transition.

La transition n’est pas une contrainte, c’est un levier majeur de performance et de durabilité pour l’élevage laitier.

Les 10 règles d’or pour réussir la transition alimentaire avec un nouvel ensilage de maïs
  1. Attendre au moins 6–8 semaines après l’ensilage avant ouverture.
  2. Analyser systématiquement le nouvel ensilage (MS, amidon, NDF, mycotoxines).
  3. Introduire progressivement le nouvel ensilage (10–21 jours).
  4. Rééquilibrer la ration en fonction de l’analyse (fibres, protéines, énergie).
  5. Sécuriser le rumen avec des fibres efficaces et, si besoin, des additifs (levures, tampons).
  6. Maintenir une ingestion élevée et régulière (ration appétente, homogène, accessible en continu).
  7. Observer quotidiennement les bouses et la rumination comme indicateurs précoces.
  8. Suivre la production laitière et les taux TB/TP pour détecter les déséquilibres.
  9. Prévenir les risques sanitaires (acidose, cétose, mycotoxines) par une gestion rigoureuse du silo et de la ration.
  10. Travailler en équipe pour ajuster rapidement en cas de problème.
image 3_ensillage

 

Cet article est rédigé par Christian Engel, DMV Chêne Vert.

christian engel

Christian Engel est diplômé d'Oniris depuis 1997.
Il a rejoint Chêne Vert en 2018 et exerce depuis en consulting vache laitière sur le site de Lécousse.