Le stress thermique, un défi grandissant pour l’élevage laitier
Le stress thermique est reconnu aujourd’hui comme l’un des principaux facteurs limitant la productivité des systèmes laitiers durant les périodes estivales prolongées. Ce phénomène conduit à une augmentation de la température corporelle et à une série de réactions physiologiques et comportementales (1).
Dans le contexte du changement climatique, la fréquence, la durée et l’intensité des vagues de chaleur augmentent de manière significative (2). Cette évolution accroît les risques, particulièrement les vaches laitières, en raison de leur métabolisme intense lié à la production de lait.
Des conséquences économiques importantes
Au-delà de la perte de performance, le stress thermique engendre une détresse physiologique (augmentation de la fréquence respiratoire, baisse de l’ingestion) et favorise l’apparition de pathologies secondaires (mammites, troubles digestifs, boiteries, troubles de la reproduction, …) (3).
À l’échelle mondiale, le stress thermique pourrait engendrer une perte économique annuelle de plus de 1,2 milliard d’euros dans l’industrie laitière, selon des projections pour les États-Unis, le Brésil, et l’Inde combinés (4).
En Europe, les pertes sont estimées entre 150 et 400 millions d’euros annuellement, selon les données climatiques (5).
Un indice de mesure à surveiller
Le stress thermique est une réponse biologique déclenchée lorsque la charge thermique dépasse la capacité de thermorégulation de l'animal. Chez la vache laitière, cette situation est fréquente dès que la température ambiante dépasse 22 à 25 °C, surtout si elle s’accompagne d’un taux d’humidité élevé (6).
L’indice de température-humidité (THI, Temperature-Humidity Index) est le paramètre le plus utilisé pour estimer le risque de stress thermique. Il combine la température ambiante et l’humidité relative pour fournir un score indicatif :
- THI < 68 : zone de confort
- 68 ≤ THI < 72 : stress léger
- 72 ≤ THI < 78 : stress modéré
- THI ≥ 78 : stress sévère
Des conséquences immunitaires et inflammatoires
Le stress thermique compromet le système immunitaire et il provoque un état pro-inflammatoire chronique, marqué notamment un stress oxydatif accru (radicaux libres) (7).
Cette immunodépression explique en partie la recrudescence des infections mammaires et utérines en période estivale.
Les vaches en lactation produisent énormément de chaleur métabolique (jusqu’à 50 % de plus qu’une vache tarie), ce qui les rend particulièrement vulnérables au stress thermique (West, 2003). Néanmoins, les vaches taries, bien que moins productrices de chaleur, subissent des conséquences insidieuses sur la qualité de colostrum, le développement du fœtus et ses performance futures et la reprise de lactation (8).
Impacts du stress thermique sur les vaches en lactation
1 - Diminution de la consommation alimentaire
La première conséquence observable du stress thermique chez la vache laitière en lactation est la réduction de l’ingestion de matière sèche. Dès que le THI dépasse 72, les vaches diminuent spontanément leur prise alimentaire pour limiter la production de chaleur métabolique. Cette baisse peut atteindre 20 à 30 %, selon les conditions climatiques et le stade de lactation (9).
Cette réduction entraîne un déficit énergétique, qui perturbe non seulement la production laitière mais également le métabolisme global de la vache, aggravant les risques de cétose, d’acidose ou de troubles de la reproduction.
2 - Baisse de la production laitière
La conséquence la plus directe du stress thermique est une chute significative de la production de lait. Plusieurs études montrent des pertes de 2 à 4 litres par jour dès que le THI dépasse 72, et jusqu’à 5 à 7 litres/jour en cas de stress sévère (1).
Cette baisse n’est pas uniquement due à la diminution de l’ingestion. Des mécanismes physiologiques intrinsèques, tels qu’une altération de la perfusion sanguine mammaire et des modifications hormonales, affectent la synthèse laitière directement au niveau de la glande mammaire (10).
3 - Modification de la composition du lait
En cas d’augmentation des mammites cliniques ou subcliniques il est primordial de ne négliger aucun facteur de risque. Une fois les principaux d’entre eux investigués il est recommandé de passer également en revue les plus secondaires d’entre eux, dont ceux évoqués ici.
4 - Modification du comportement
Les vaches en stress thermique modifient significativement leur comportement :
- Repos diminué : elles passent moins de temps couchées pour favoriser l’évacuation de la chaleur corporelle
- Comportement d’évitement : elles sont en recherche de zones d’ombre ou de courants d’air
- Consommation d’eau accrue : elles consomment jusqu’à 50% plus d'eau (3)
Ces ajustements visent à réduire la production de chaleur, mais peuvent compromettre la santé des membres (moins de repos), augmenter la compétition alimentaire, et accentuer les déséquilibres digestifs.
5 - Conséquences indirectes : santé et reproduction
Le stress thermique augmente l’incidence de diverses affections :
- Mammite : due à l’immunodépression et aux modifications de la flore cutanée mammaire
- Acidose ruminale : liée principalement à la baisse du pouvoir tampon de la salive
- Baisse de la fertilité : réduction de l’expression des chaleurs, mauvaise qualité ovocytaire, et diminution du taux de gestation (11)
Des études montrent que le taux de conception chute de 10 à 25% pendant les périodes de canicule, avec des pertes économiques conséquentes.
Impacts du stress thermique sur les vaches taries
1 - Diminution de l'ingestion et de l'état d'engraissement
Tout comme les vaches en lactation, les vaches taries soumises au stress thermique présentent une réduction de l’ingestion de matière sèche, ce qui compromet leur équilibre énergétique.
Cette sous-alimentation peut engendrer une mobilisation excessive des réserves corporelles, une lipomobilisation hépatique entrainant une plus grande susceptibilité aux troubles métaboliques post-partum, comme la stéatose hépatique ou la cétose (12).
2 - Répercussions sur le développement fœtal
La croissance fœtale est particulièrement rapide durant les 6 à 8 dernières semaines de gestation. Le stress thermique compromet le flux sanguin utéroplacentaire, réduisant ainsi l’apport en nutriments et en oxygène au fœtus (13) entrainant des retards de croissance intra-utérin, des poids de naissance réduits (jusqu’à -5 à -10 %) et une moindre viabilité néonatale.
Le veau issu d’une mère stressée thermiquement montre également une altération de la fonction immunitaire à la naissance, notamment une réduction de la réponse aux anticorps maternels (7).
Des études démontrent même une baisse des performances de production et de reproduction futures sur les génisses issues de mères soumises à un stress thermique en fin de gestation (14).
3 - Altération de la production et qualité du colostrum
Le colostrum, essentiel pour l’immunité passive du veau, est fortement impacté par le stress thermique subi en fin de gestation :
- Réduction de la quantité de colostrum produite (jusqu’à -30 à -40 %)
- Diminution de la concentration en IgG (13)
Cela diminue la capacité du veau à acquérir une immunité passive efficace, exposant davantage les nouveau-nés aux infections néonatales (diarrhées, septicémies).
4 - Conséquences sur la lactation suivante
Le stress thermique durant le tarissement a des effets durables sur la lactation suivante. Plusieurs mécanismes sont en jeu :
- Altération de la mammogenèse : processus de régénération du tissu mammaire perturbé
- Réduction du nombre et de l’activité des cellules épithéliales mammaires (15)
- Baisse persistante de la production laitière : les études montrent une réduction de 2 à 5 kg de lait/jour sur toute la lactation suivante (16)
Cette perte de production est économiquement significative, surtout dans les troupeaux à haute valeur génétique.
5 - Effets sur la reproduction post-partum
Le stress thermique affecte la reprise de l’activité ovarienne après le vêlage. Il induit :
- Un retard dans le retour à l’ovulation
- Une augmentation des troubles utérins post-partum
- Une réduction de la fertilité, notamment un allongement de l’intervalle vêlage–première insémination (17)
Ces perturbations nuisent à la dynamique de reproduction du troupeau et rallongent l’intervalle entre les lactations.

Stratégies d’atténuation et de gestion du stress thermique
1 - Ventilation d'atténuation et de gestion du stress thermique
Face à l’intensification du stress thermique dû au réchauffement climatique et à l’augmentation des températures estivales, il est indispensable de mettre en place des stratégies efficaces de prévention, d’adaptation et de gestion dans les élevages laitiers. Ces stratégies doivent viser à limiter les impacts sur la santé, la production et la reproduction des vaches laitières, qu’elles soient en lactation ou taries.
2 - Brumisation et aspersion
Le refroidissement par eau peut également être envisagé en cas de très fortes chaleurs :
- Brumisation à haute pression : microgouttelettes qui s’évaporent rapidement
- Aspersion + ventilation : mouillage direct des animaux, suivi d’un séchage forcé
Cette combinaison peut faire baisser la température corporelle des vaches de 0,5 à 1,5 °C (1).
3 - Ombrage
L'accès à des zones ombragées naturelles ou artificielles est crucial en pâturage (arbres, bâtiments ouverts, abris mobiles).
L’ombre permet de réduire l'exposition au rayonnement solaire direct, facteur aggravant du stress thermique (5).
4 - Ajustement de la ration
Sous stress thermique, la consommation chute, d’où la nécessité d’une ration :
- Plus concentrée en énergie (augmentation de l'amidon ou des lipides)
- Avec des fibres efficaces mais digestibles
- Enrichie en antioxydants : vitamine E, sélénium, zinc
- Enrichie en substances tampon permettant de compenser la baisse d’efficacité de la salive : Bicarbonate de sodium
5 - Fréquence et moments de distribution
Il est recommandé de distribuer la ration aux heures fraîches (tôt le matin, fin de journée), de fractionner les repas et d’assurer l'accès à une eau fraîche et propre en permanence.
6 - Sélection génétique
La sélection de vaches plus résistantes au stress thermique est une stratégie à long terme :
- Races tolérantes (Jersey, croisements Zébu/Holstein)
- Sélection génomique sur des caractères de résilience thermique
Certaines lignées présentent une meilleure adaptation en matière de température corporelle, sudation, et fertilité.
7 - Utilisation d'indicateurs et monitoring
Le suivi régulier de paramètres de stress thermique permet une meilleure anticipation :
- THI (Temperature Humidity Index) : dès 68–72, des effets négatifs apparaissent
- Température rectale, fréquence respiratoire, comportement d’abreuvement
Des capteurs connectés (colliers, caméras thermiques, thermomètres infrarouges) peuvent fournir des données en temps réel pour ajuster les stratégies (19).
Pour conclure
Le stress thermique constitue aujourd’hui l’un des défis majeurs auxquels est confronté l’élevage laitier mondial.
C’est en combinant connaissances scientifiques, innovations techniques et savoir-faire pratique que les systèmes laitiers pourront s’adapter aux enjeux climatiques tout en assurant le bien-être animal et la durabilité économique.
Bibliographie
1 . Collier, R. J. et al. (2006). Major advances associated with environmental effects on dairy cattle. Journal of Dairy Science.
2 . IPCC (2021). Climate Change 2021: The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change.
3 . West, J. W. (2003). Effects of heat-stress on production in dairy cattle. Journal of Dairy Science.
4 . Key, N. et al. (2014). Climate change, heat stress, and U.S. dairy production. USDA Economic Research Report.
5 . Renaudeau, D. et al (2012). Adaptation to hot climate and strategies to alleviate heat stress in livestock production. Animal.
6 . Bohmanova, J. et al. (2007). Temperature-humidity indices as indicators of milk production losses due to heat stress. Journal of Dairy Science.
7 . Do Amaral, B. C. et al. (2011). Heat stress abatement during the dry period influences metabolic gene expression and improves immune status in the transition period of dairy cows. Journal of Dairy Science.
8 . Tao, S. et al. (2012). Effect of late-gestation maternal heat stress on growth and immune function of dairy calves. Journal of Dairy Science.
9 . Rhoads, R. P. et al. (2009). Nutritional interventions to alleviate the negative consequences of heat stress. Journal of Animal Science.
10 . Wheelock, J. B. et al. (2010). Effects of heat stress on energetic metabolism in lactating Holstein cows. Journal of Dairy Science.
11 . Hansen, P. J. (2007). Exploration of physiological and genetic basis for the temperature-fertility relationship in cattle. Animal Reproduction Science.
12 . Dahl, G. E. et al. (2016). Heat stress impacts immune status in cows across the life cycle. Frontiers in Veterinary Science.
13 . Monteiro, A. P. A. et al. (2016). Effect of heat stress during the dry period on metabolism and mammary gland development. Journal of Dairy Science.
14 . Ghaffari, M.H. (2022). Developmental programming: prenatal et postnatal consequences of hyperthermia in dairy cows and calves. Domestic Animal Endocrinology.
15 . Tao, S. et al. (2011). Heat stress effects during late gestation on dry cows and their calves. Journal of Dairy Science.
16 . Do Amaral, B. C. et al (2009). Effect of heat stress during the dry period on dairy cow performance and metabolism during the subsequent lactation. Journal of Dairy Science.
17 . Roth, Z. et al. (2001). Effect of heat stress on follicular development during the estrous cycle in lactating dairy cattle. Biology of Reproduction.
18 . Fabris, T. F. et al. (2019). Monitoring core body temperature using vaginal and rumen sensors in lactating dairy cows. Journal of Dairy Science.
19 . Polsky, L. et al. (2017). Invited review: Effects of heat stress on dairy cattle welfare. Journal of Dairy Science.
Cet article est rédigé par Christian Engel, DMV Chêne Vert.

Christian Engel est diplômé d'Oniris depuis 1997.
Il a rejoint Chêne Vert en 2018 et exerce depuis en consulting vache laitière sur le site de Lécousse.