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mardi 3 mai 2022

Plume Verte #57 : le ténébrion, comment le contrôler efficacement ?

Temps de lecture : ~5 minutes

Le ténébrion : comment le contrôler efficacement  ?

Nous avons vu dans la Plume Verte précédente que le contrôle des ténébrions reste un enjeu majeur en élevage avicole. Il est vecteur de nombreuses maladies, il impacte les performances et le bien-être des animaux, et enfin, il est à l’origine de dégradation des bâtiments d’élevage en détruisant les isolants ce qui engendre des déperditions d’énergie importantes et des frais de rénovation.

SBETZ ronde

Pour mieux l'appréhender, nous avons interrogé Sarah Betz du laboratoire Elanco.

Quel est pour vous le plan de lutte idéal en élevage de volaille ?

Il n’y a pas un seul plan type de lutte. Il convient d’abord d’apprécier la situation et de mettre en place un plan d’action adapté à chaque contexte d’élevage. Il importe de bien connaitre les différents facteurs de risques qui prédisposent un élevage aux infestations de ténébrions.

Quels sont-ils ?

Une enquête pilotée par l’ITAVI sur 47 bâtiments de poulets (Bretagne, Pays-de-la-Loire, Auvergne-Rhône Alpes et Ile de la Réunion), ainsi que dans 26 bâtiments de dindes (en métropole uniquement) a permis de mettre en évidence les facteurs prédisposants plus favorablement les bâtiments d’élevages aux infestations de ténébrions. 3 grands items sont à prendre en considération :

  • Le type de production
  • La conception du bâtiment
  • Les pratiques d’élevages

Ces différents facteurs favorisants peuvent pour certains, faire l’objet d’actions correctives qui diminuent la pression parasitaire.

Figure 1 : Synthèse des principaux facteurs prédisposant à l’infestation des bâtiments par les ténébrions

Infestation par le ténébrion

Le recours aux traitements insecticides reste néanmoins indispensable ?

Oui, l’utilisation d’un traitement biocide est souvent incontournable. Mais l’émergence de résistances sur certaines molécules engage à une démarche raisonnée pour limiter l’usage des insecticides aux seuls contextes appropriés.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la démarche ?

Elle s’appuie sur 3 aspects :

  1. Evaluer l’infestation parasitaire et traiter quand c’est nécessaire
  2. Contrôler l’infestation en se basant sur de bonnes pratiques
  3. Alterner les molécules

Pourquoi et comment évaluez-vous la pression d’infestation ?

L’objectif est de traiter au bon moment. Ni trop tôt, ni trop tard pour avoir le maximum d’efficacité et de retour sur investissement du traitement.

Plusieurs outils existent. Ce sont des systèmes de piégeage à disposer dans le bâtiment aux endroits où les ténébrions (larves et adultes) vivent (bas de murs, dessous de mangeoires).

piege 1 piege 2

source : site Synthèse Elevage

Pour avoir une bonne évaluation de la situation dans son bâtiment, il convient de respecter les recommandations du fournisseur sur le nombre de pièges/ surface de bâtiment et les lieux de disposition.

Ces outils permettent :

  • De réaliser un état des lieux du niveau d’infestation.
  • De suivre l’évolution des infestations (contrôles réguliers des pièges tous les 15 jours par exemple)
  • De valider que le plan de lutte est efficace (régularité des applications/ efficacité des molécules)

Des approches d’auto-évaluations plus simples dans la mise en œuvre (absence de matériel spécifique) peuvent également être proposées. Elles reposent sur une grille d’observations en des points précis et sur une évaluation semi-quantitative du nombre de ténébrions observés en chaque point de contrôle.

evaluation population ténébrions

La mise en évidence d’une augmentation du nombre de ténébrions piégés ou observés à chaque point de contrôle doit conduire à la mise en place d’un traitement pour éviter des infestations massives difficiles à maitriser par la suite.
Tout retard de mise en œuvre d’un traitement risque d’engendrer un dérapage du contrôle avec à la clé des impacts sanitaires et économiques préjudiciables pour les animaux et l’éleveur.

L’application du traitement reste un point clé, quelles sont les bonnes pratiques à respecter ?

L’efficacité des traitements repose essentiellement sur l’utilisation des doses recommandées pour chaque biocide et l’application aux bons endroits pour atteindre le parasitaire à ses différents stades de développement. Le choix du dosage et des zones à traiter repose sur le mode d’action spécifique de chaque molécule. C’est pour cela qu’il convient de respecter scrupuleusement les recommandations pour chaque produit. A noter que pour lutter efficacement contre le ténébrion, il est important de mettre en place un protocole larvicide et adulticide.

Un bilan des pratiques terrain réalisé sur 50 élevages (Elanco) a permis d’identifier les axes de progrès en matière d’utilisation des biocides :

  • 25% des éleveurs interrogés n’utilisent aucune lutte contre le ténébrion.
  • 70% des élevages ont recours à protocole incomplet de lutte (Adulticide seulement)
  • 82% des élevages oublient des zones importantes à traiter (SAS)
  • 87% des élevages n’utilisent pas le produit selon les recommandations
     
    • Dans le graphique ci-dessous sont évaluées les principales erreurs d’utilisation

erreur utilisatio, produits

Il est essentiel de pouvoir progresser sur ces points pour éviter les erreurs d’utilisation. Celles-ci conduisent au recours plus fréquent à des traitements et peuvent être à l’origine de résistances vis-à-vis de certaines molécules.

Avant de conclure à une « vraie résistance » d’un biocide, il est important de revoir le protocole dans ses moindres détails et de s’assurer que toutes les recommandations sont bien respectées.

Enfin, je rappellerai la nécessité en tant qu’éleveur de protéger sa santé en ayant recours à un matériel de protection adapté (gants, lunettes, masque) utilisé à chaque application.

Le 3ème point de votre démarche est donc l’alternance des molécules ?

Oui, dans le cadre d’une bonne utilisation des produits insecticides il est recommandé d’alterner les molécules. Attention, changer de nom de marque pour un produit ne signifie pas forcément changer de molécule. Il est important de connaitre la composition des produits et savoir à quelle famille d’insecticides les molécules appartiennent et le mode d’action associé. Une vraie alternance passe en effet par le choix d’un produit avec une molécule appartenant à une autre famille d’insecticide. L’éleveur ne doit pas hésiter à se faire conseiller par les personnes compétentes sur le sujet (vétérinaires, société de distribution de biocides).

L’étude ITAVI précédemment citée évaluait également les pratiques d’utilisation des biocides. Elle a montré qu’une lutte chimique était mise en œuvre chez 80% des éleveurs de poulets et 66% des éleveurs de dindes. L’absence de traitement était corrélée à des niveaux d’infestations bien supérieurs. Lorsque les éleveurs avaient recours à des traitements, les pyréthrinoïdes étaient utilisés dans 50% des cas. Enfin, L’utilisation d’un insecticide d’une autre famille que les pyréthrinoïdes démontrait un niveau d’infestation plus faible en moyenne.

Cette faible mise en œuvre de l’alternance des molécules dans les pratiques d’élevage s’est confirmée dans les observations faites dans l’étude des pratiques terrain réalisée par Elanco. Seulement 14% des éleveurs mettaient en place une vraie stratégie d’alternance des molécules. Il ne s’agit pas de changer systématiquement de molécules à chaque bande mais il est raisonnable de l’envisager toutes les 3 à 4 bandes pour préserver l’efficacité des molécules.

En résumé, je conclurais en rappelant qu’il vaut mieux être réactif en matière de contrôle des ténébrions pour éviter de subir les aléas d’une infestation massive.

Pour cela, il faut maintenir un contrôle permanent en travaillant sur la correction des facteurs épidémiologiques favorisants, surveiller les accroissements de populations de ténébrions et avoir recours aux biocides en les alternant.

Interview recueillie par Cyril Boissieu, DMV Chêne Vert

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cyril boissieu

Cyril Boissieu a obtenu son doctorat en 2004 et il exerce en filière avicole au sein du cabinet Chêne Vert depuis 2010, sur le site de Saint Mars la Brière (72).